PIERRE EMMANUEL

XX CantosÉditions de la revue Fontaine - 1942

Qui me sépare de ma mort ?
un miroir où mon âme est morte
a perdu le poids de son corps
Qui me sépare de ma vie ?
l’ombre à reculons qui m’épie
et me fascine en me fuyant
Qui me sépare de mon dieu ?
moi innombrable qui me prends
au piège de mes visages

Mais dans l’Ombre où je suis damné
l’Autre muet me dévisage.

                              (Un des premiers Cantos connu)


« Les XX Cantos de Pierre Emmanuel paraissent à Alger en 1942 (Éditions de la revue Fontaine). Il s’agit d’une série de vingt pièces numérotées, en vers parfois très brefs (2, 4 syllabes, au maximum 8), sans pratique systématique de la rime. [...] Les premiers "Cantos" (I-IV) expriment la douleur du poète face à la guerre. Les poèmes suivants (V- VIII) disent l’angoisse diffuse de l’homme affronté à l’éternité, pris dans une destinée qui le dépasse. Le poète en vient alors à évoquer la présence obscure d’une identité : la folie, le vertige des mots « en peine » (X-XI) révèlent la profondeur secrète du silence (IX) et ce frémissement s’ouvre sur un hymne à la Nuit substantielle et fraîche qu’une larme peut résumer (XII). Le livre se clôt sur des poèmes où l’homme s’en remet enfin à Dieu (XIII- XX). Le poème se fait prière que l’homme adresse à Dieu depuis sa misère de créature (XIII- XV) et devient même une forme de dialogue mystique (XVI). La Grâce sévère de Dieu est approchée dans l’angoisse. Le poète lutte avec un Dieu présent-absent (XVII) auquel il ne se fie pas sans terreur :   
 Dieu mon Dieu que je n’ai cherché
        tant j’étais sûr de Ta présence
        ne m’abandonne pas à mon péché
        maintenant que tremblant j’avance
        en Ton hostile éternité
                    (XVIII). »

Aude Préta-de Beaufort, notice de Chansons du dé à coudre, Œuvres poétiques complètes, t. 1, L’Âge d’Homme, 2001, p. 1173-1177.


     Les XX Cantos ne sont qu’un début. Pierre Emmanuel édite Cantos à La Baconnière (coll. « Ides et Calendes », Neuchâtel, 15 janvier 1944), qui comprend 70 poèmes, dont ceux-là, puis Chansons du dé à coudre (Egloff et L.U.F., Paris / Fribourg, 15 mai 1947) qui les reprend tous.