PIERRE EMMANUEL

Tombeau d'OrphéePoésie 1941, Pierre Seghers, Les Angles

Muré en dieu
crispé sur l’effrayante aurore
plomb d’épouvante et de péché Orphée descend
étourdi par la tumultueuse odeur de l’Œil tranquille
jusqu’au fond de ce puits grouillant comme l’espoir
et cimenté de chairs animées : il pèse enfin !
Il sent la profondeur confuse l’envahir
et se former la larme obscure de mémoire
son cœur,
et suinter la pierre antique de son corps
le long de la resplendissante chute ô glaive immense.
                  
           Tombeau d’Orphée,
« Le poète aux enfers »

     Tombeau d’Orphée paraît en mai 1941 aux éditions Poésie 1941, Pierre Seghers, Les Angles. L’oeuvre peut se « lire comme le drame du premier amour perdu, mais aussi comme celui de la quête de l’identité. Le livre s’ouvre sur "Les noces de la mort" qui affirme Eurydice morte dès le départ : elle est un des visages de la Mort, l’amour lui-même est mortifère et la femme aimée est l’enjeu d’un mortel et blasphématoire conflit entre le "dieu jaloux" et le poète coupable d’un crime qu’il ne sait nommer. [...] Le livre reproduit ensuite le schéma de la descente aux enfers et de la remontée au jour jusqu’à la disparition d’Eurydice et la dilacération d’Orphée [...].
     Tombeau d’Orphée est un livre envoûtant et difficile, "intellectuellement presque impénétrable" dit Pierre Emmanuel lui-même (Préface) qui énonce tous les grands thèmes emmanuelliens encore enclos et involutés en eux-mêmes. Il dit, entre autres, la découverte de la parole, de son pouvoir et de sa limite comme si un dieu jaloux l’interdisait aussitôt qu’il l’avait donnée ; l’émergence de l’être arraché au tombeau par la parole et l’identification au Christ comme dans "Christ au tombeau" et pourtant aussi l’incapacité de se saisir de soi-même ; la découverte de la femme et de l’amour, et tout aussitôt celle de l’impossibilité de l’amour [...]. »

Anne-Sophie Constant, notice de Tombeau d'Orphée, Œuvres poétiques complètes, t. 1, L’Âge d’Homme, 2001, p. 1138-1139.

     Livre essentiel, le premier qui fit connaître Pierre Emmanuel et lui valut une grande notoriété, Tombeau d’Orphée fut réédité plusieurs fois avec des variantes, en 1943, 1946, 1967 suivi de Hymnes orphiques. En 2001 A.-S. Constant établit une dernière édition (L’Âge d’Homme, coll. « Amers ») précédée d’une importante préface.