Élégies paraît en Belgique grâce à Pierre-Louis Flouquet le 7 mai 1940… et reste enseveli sous les bombardements.
Pierre Emmanuel en attendait la publication avec impatience, car il s’agissait de sa première parution en recueil. Le livre comprend 19 poèmes, composés pour l’essentiel en 1938 et 1939, à peine postérieurs, donc, à ceux de Tombeau d’Orphée et Le Poëte et son Christ qui ne paraîtront qu'ensuite.
« Recueil déconcertant, par moments hermétique, Élégies livre des fragments, des fulgurations, des échos d’un chant indéchiffrable. C’est une poésie « chargée d’orage : de hauts fragments, de pans d’images comme des ruines ou des montagnes, qu’un éclair illumine soudain et rejette dans l’obscurité, au claquement, obsédant parfois, des mots : mort, sang et sexe » (Bertrand d’Astorg, Discours, in Pour Pierre Emmanuel, Paris, Le Seuil, 1969, p. 14). Une poésie qui tantôt avance dans un monde onirique — ou cauchemardesque —, tantôt s’impose par les bruits et la fureur oratoire de ses images.
Un parcours pourtant s’esquisse dans le recueil, qui relie « Naissance du verbe », le poème liminaire, au dernier, « Ode au futur » : l’aventure du poète-Orphée, « drapé dans les mouvants espaces de sa mort » qui par la Mort et dans la Mort espère atteindre à une « aube invisible », au Chant. Dans cette optique Pierre Emmanuel lit aussi l’actualité (cf. « Requiem pour Antonio Machado »). Pour que le Chant s’impose au chaos et lui donne une forme, pour arracher Eurydice aux ténèbres, le poète-Orphée doit lutter contre l’ange, tour à tour antagoniste et instrument de vengeance, contre une puissance divine, ou infernale, peu importe. Dans le sillage de Pierre Jean Jouve, Élégies baigne dans un climat de catastrophe : catastrophe historique du moment présent, catastrophe métatemporelle de Sodome, la ville maudite. »
François Livi, notice d’Élégies, Œuvres poétiques complètes, t. 1, L’Âge d’Homme, 2001, p. 1127.
Élégies est réédité en 1948 avec Le Poète fou.
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