PIERRE EMMANUEL

La nouvelle naissanceÉditions du Seuil, 1963

Le cri du nouveau-né est aussi l’alouette de notre résurrection.
Tu nais homme pour subir tout de l’homme, broyé comme terre sèche
     entre nos doigts. Comme la glaise, nous te mouillerons de ton sang.
     Tu perdras cœur et volonté d’être
Dieu feindra qu’il retire sa main.
Ainsi, à nos yeux de chair, en va-t-il aujourd’hui en cette étable, où se
     préfigure l’ultime abandon.
Aussi faible qu’au Golgotha est ton corps qui bleuit à sa naissance, car
     son Dieu lui manque avec l’air.
Mais à la limite de l’asphyxie, dans l’éclair du parfait désespoir,
Avec le cri de l’enfant et l’appel au secours de l’homme
Dieu revient dans la chair désertée. Dieu nous emplit de toute sa force
Tel un bélier qui brisant la mort nous fait mal.
Avec la force de Dieu nous ressuscitons de nous-mêmes. La sentence
     de mort est levée que nous passons à perpétuité contre nous.
Du persécuteur de l’homme renaît l’homme : du coupable l’innocent.
Le Christ triomphe de la voracité de notre tombe, du néant que le
     manque de Dieu creuse en nous.

                   La nouvelle naissance, « Nativité »


     La nouvelle naissance paraît en 1963 à Neuchâtel (À la Baconnière, « La Mandragore qui chante »/ Le Seuil), la même année que Le goût de l’Un. Le texte liminaire du livre rappelle que l’ « Annonciation » et la « Nativité » furent commandées au poète en 1962 par Henry Barraud, directeur du programme national de la Radiodiffusion Française, « pour accompagner un poème de Loys Masson en forme d’oratorio de Noël ». Trois textes sont repris des Jours de la Passion.
     Très proche d’Évangéliaire dans le ton et la forme de plusieurs poèmes de « Pro Passionis tempore »), La Nouvelle naissance s’en distingue nettement par sa composition et son intention. La méditation de l’Évangile s’accompagne plus évidemment d’une réflexion sur l’année liturgique. Les poèmes « Annonciation » et « Nativité » évoquent en vers libres, proches des versets claudéliens, les lectures du temps de l’Avent et de Noël. Elles sont éclairées par la partie centrale, et l’éclairent tout à la fois en présentant la venue au monde et la Passion du Christ comme le lieu où prend sens l’existence humaine. La fin de l’œuvre reprend l’Ancien Testament et l’Apocalypse en une vision renouvelée du thème essentiel de la nouvelle naissance.