Je vis un homme poser la main sur la carte du monde. Couvrant l’Europe de sa paume, il souriait : « C’est bien petit ».
J’étais prisonnier de cette main : écrasé, étouffé par cette main. Des millions d’autres, comme moi, rampaient pour se dégager des ruines.
Sans un cri. Comment crier à travers l’épaisseur de cette main ? Mais un grand souffle suffoqué battait la main d’une boue d’hommes.
Ma bouche mangeait la poussière : tout ce que je croyais éternel, réduit en poudre et en grumeaux de sang. Mon âme prit l’odeur du cadavre. Des phrases de livres, comme des peaux mortes, se détachaient de moi.
Un crieur de journaux, à plat ventre, hurlait : La fin de tout ! À la une, sur huit colonnes. Quelque part, sous les décombres, des machines à écrire crépitaient. Par toutes ses plaies, le monde perdait son encre.
La fin de tout ? Mais je vivais encore ! Je vivrai même si l’on me tue... Une seule chose importe : avancer. Avancer plus vite que les autres. Atteindre l’issue avant eux.
Babel, « L'avènement », « Le récitant »