PIERRE EMMANUEL

Le poète fouÉditions du Rocher, Monaco, 1944. Illustrations de Léon Zack.

Mes pas, sur le velours des profondes paroles
ont soumis leur silence à ta mesure, ô Mer !
J’ai surpris les dieux nus dans le grand jour des fables,
leur essence indécise en ses jeux souverains
je la drape de transparences de mémoire
voiles tendres d’un Chant où baignent des contours
tout frémissants d’ineffables métamorphoses
si fluides aux doigts qui les voudraient saisir...

Une branche pleure ses fleurs sur un visage
haut dans l’or quelle main palpite – quel oiseau :
dans les roseaux froissés, qui parle ? Sur le sable
un rameau de vent frêle écrit ma destinée.

                               Le poète fou, V


     « L’édition originale du Poète fou, comportant neuf illustrations de Léon Zack, est publiée à Monaco par les Éditions du Rocher en 1944. Le livre sort des presses le 21 août. [...]
     La lecture de Hölderlin est, pour Pierre Emmanuel, un catalyseur de sa propre réflexion sur le mythe. "Pierre Emmanuel — écrit Albert Béguin — a renouvelé l’une des grandes intuitions de la poésie européenne : celle de Hölderlin, qui découvrit soudain les mythes grecs, non seulement dans leur valeur historique ou plastique, mais dans leur signification éternelle et vivante. Et à son tour, l’auteur du Tombeau d’Orphée a vu dans le chantre déchiré par les ménades une figure, un reflet du Christ. Mais, tandis que le poète foudroyé du romantisme allemand, — héritier sans le savoir des Renaissants français — demeurait tout engagé dans un paganisme dramatique, et n’atteignait à quelque intelligence de la vérité chrétienne qu’à partir du mythe ancien, Pierre Emmanuel se situe d’emblée en un centre qui est l’Incarnation de Jésus-Christ" (A. Béguin, Présentation de Pierre Emmanuel, in P.E., Le poëte et son Christ, "Les Cahiers du Rhône", Neuchâtel, La Baconnière, 1942, p. 137-138). Les deux études qui précèdent les poèmes du Poète fou dans l’édition de 1948 (au Seuil) — "Hölderlin et l’Histoire", parue dans la revue Fontaine (n°56, 1945), "Le Christ de Hölderlin", parue dans Suisse contemporaine (juillet 1943) sous le titre "Sur une traduction de Hölderlin" — le confirment.

François Livi, notice du Poète fou, Œuvres poétiques complètes, t. 1, L’Âge d’Homme, 2001, p. 1160-1163.