PIERRE EMMANUEL

La liberté guide nos pasPierre Seghers, mai 1945

Qui peut dire : « Je suis vivant », dans ces ténèbres
où nul ne sait se distinguer de son néant ?
Ce sang noir et mouvant parmi l’éclat des armes
est-ce l’ombre de mon absence sur le temps
moi qui mort depuis quand ? masque Ta Face au monde
peut-être… Mon visage a-t-il séché sur moi
ai-je fait grimacer de blasphème la Terre
ai-je péché contre ma face, devant Toi ?
Âme à nu, merveilleuse et fragile, que ride
fût-ce une ombre de vent des profondeurs venue
lac de douleur limpide aux plateaux de l’enfance
où fleurit le chardon d’argent fané des soirs,
visage né pour la blessure, clair miroir
où le soleil à découvert combat les monstres
dont le souffle ternit s’il les frôle les eaux,
hélas ! la peur te creuse et te comble de pierre

     La liberté guide nos pas, « Hymne de la paix »


     « La liberté guide nos pas, publié d’abord en [mai] 1945 (éditions Pierre Seghers), puis en [août] 1946 (collection Poésie 46), est repris en 1969 par le même éditeur Pierre Seghers, qui réunit ce recueil et Combats avec tes défenseurs en un volume unique. Un grand nombre de ces poèmes ont paru dans la revue Poésie que dirigeait Pierre Seghers. [...] Certains poèmes ont été publiés ailleurs, entre autres dans L’Honneur des Poètes (14 juillet 1943), première anthologie des poètes de la Résistance, publiée par les Éditions de Minuit, [...] notamment le poème "Les dents serrées" [que l’on trouve dans nombre d’anthologies], [...] et "Otages", "écrit au lendemain des massacres de Châteaubriant".
     Dans la note placée à la fin du recueil [...] [Pierre Emmanuel précise que] "Temps de la Paix" date d'août 1939 [...] tous ces textes datent de l’époque de la servitude et un grand nombre furent publiés ouvertement en ce temps-là, tant en France qu’en Suisse".

Ginette Adamson, notice de La liberté guide nos pas, Œuvres poétiques complètes, t. 1, L’Âge d’Homme, 2001, p. 1163-1168.


     La précision est d’importance, car l’œuvre paraît à la libération ; Pierre Emmanuel entend marquer son engagement de la première heure, un engagement qui ne fut pas sans danger parfois.
     Le livre comporte quatre parties essentielles : « Temps de la paix », « Hiver de l’homme », « La colombe » [lien vers la page correspondante], « La liberté guide nos pas ». Le poème final, « Aux poètes », invite à ouvrir de nouveaux horizons poétiques après avoir décrit l’atmosphère dans laquelle furent écrits les poèmes :
« Ce livre nous l’avons écrit dans le tombeau
l’auteur en fut un peuple anxieux de Lazares.
Nous connaissions le prix des symboles avares
nous entendions craquer de colère les mots ».