PIERRE EMMANUEL

Ligne de faîteÉditions du Seuil, 1966

     Mon art est une contemplation active qui donne forme à mon esprit et l’unifie dans la forme qu’il crée : mais pour l’unifier, paradoxalement, il ne cesse d’ouvrir l’esprit en abîme à la plénitude inconnaissable, « apparue » sous les espèces de la beauté. C’est donc une interrogation déchirante, un oui sans retour, non point à la seule capacité créatrice de l’esprit, mais à la transcendance qu’elle figure, au Principe sustentateur de la pensée. Cet art réunit à l’essence, au Verbe où beau et vrai se confondent dans un rayonnement, un émerveillement primordial. Le mystère du vrai, sa beauté rayonnante, sont perçus dans ce face à face émerveillé où l’esprit est deux et un avec ce qu’il contemple et reflète. Je prie pour que nous rapprenions, nous poètes, à susciter, par des moyens simples, cet émerveillement dans l’âme du premier venu. Sans doute convient-il d’abord que l’artiste devienne lui-même le premier émerveillé, le premier ébloui, face à face, par les rayons mystérieux.

          Ligne de faîte, « Le fragment, le chantier, la ruine ».

 


     Ligne de faîte, paru en 1966 aux éditions du Seuil, a comme sous-titre « Anthologie ». L’œuvre est organisée en six grandes parties : « Orphée », « Sodome », « Babel », « Christ », « Parole », « Silence », dans laquelle sont repris des poèmes des œuvres antérieures de Pierre Emmanuel, sans souci chronologique. Les textes y sont souvent repris à l’identique, mais parfois aussi simplifiés et raccourcis, dans la ligne des derniers livres du poète. L’ensemble est précédé d’une préface importante : « Le fragment, le chantier, la ruine ».
     Ligne de faîte est pour Pierre Emmanuel un moyen de s’orienter avant de reprendre sa route, de mettre en lumière les thèmes majeurs de son œuvre, une sorte de « basse continue » essentielle de sa poésie. L’œuvre se lit comme on marcherait sur une ligne de crête : en regardant le passé sans céder à la pente du souvenir, mais sans non plus connaître ce que sera le paysage nouveau. L’œuvre est aussi une réflexion sur la parole poétique, elle aussi « ligne de faîte » entre parole et silence.