Dans la dynamique du poète, qu’est-ce que la chute ? C’est d’abord, par l’intermédiaire de l’imagination et des sens, la traduction symbolique des traumatismes subis par l’enfant, y compris peut-être celui, mystérieux, de sa venue au monde. Tomber, c’est être précipité du sein. De cette déchéance, Baudelaire accuse la mère, dans Bénédiction. Mais, du même mouvement, il l’en décharge : « les desseins éternels » veulent que la mère et le fils soient l’un à l’autre des instruments d’expiation. Il reste que « l’Enfant déshérité » n’admettra jamais sa frustration, et perpétuera son exil royal durant toute la vie de l’adulte. Ressentiment et nécessité lui imposeront « le refoulement de toute expansion ». De là son inguérissable solitude : dans l’Irrémédiable et Rêve parisien, deux moments suprêmes, celui-ci d’élévation, l’autre de chute, identiquement résolus, le poète est seul « au fond d’un cauchemar énorme », dans « un silence d’éternité ». Et plus que seul : dans les deux cas, il découvre à nouveau ce qu’il sait – qu’il est son propre sépulcre.
Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite,
Depuis l’éternité je parcours et j’habite ;
(Le mauvais Moine.)
Baudelaire, « La mystique du gouffre »