Ce livre ne contient aucun des textes de circonstance que j’écrivis, parfois agressivement, entre 1940 et nos jours. Ma pensée n’a pas radicalement changé, mais j’ai été conduit à comprendre que le mouvement de l’histoire en cours est un arrachement et un exode. Ainsi conçu il n’est pas exclusif, bien au contraire,de l’enracinement dans l’unique réalité : cette réalité est en nous, c’est la Présence, la shekinah,et la Parole est son Arche d’Alliance. L’homme des tentes a partout sa patrie dans les Noms divins. Comme pur mouvement, l’histoire serait absurde : comme exode, chaque événement y prend valeur symbolique, et notre participation relève du règne spirituel.
C’est de la sorte que j’ai vécu l’histoire, à ses plus hauts moments, et j’espère la vivre ainsi toujours : comme Israël bon gré mal gré l’a vécue. Je laisse mon sagace lecteur retrouver ce sens méta-historique dans les divers essais de ce livre, même les plus éloignés de l’actualité. Peut-être devinera-t-il ce que je reconnais moi-même : qu’en moi le prophète et le contemporain ne sont guère à l’aise ensemble. Ma tentation est de perdre foi dans l’évidence prophétique, de chercher à me dérober au devoir de la porter : et cela, bien que l’optimisme de l’époque m’apparaisse comme une impasse, la seule perspective ouverte à la création étant à mes yeux l’Acte tragique, l’Acte d’amour, qui se passe entre l’homme et Dieu.
Le monde est intérieur, « Avant-propos »