Ta solitude, l’as-tu jamais sondée ? L’as-tu choisie pour ta vraie patrie et le lieu de ton plus profond savoir, sans lequel toute autre connaissance que de toi-même est imparfaite et inutile ? T’es-tu obstiné à te chercher, à te centrer, à reconnaître ce qui te fonde ou t’abîme, jusqu’à prendre en dégoût ce « moi » et cet « homme » de confection que t’imposent la pensée que tu sécrètes, la science que tu crois bâtir, la morale dont tu es si peu libre, la société que tu t’imagines modeler, la complicité dans les idées du temps, la mode enfin, tyran suprême ? As-tu connu l’impatience de t’écorcher, de t’exorciser de toi-même, pour échapper à la peau de chagrin de ton époque, à l’asphyxiante fausseté de ses « évidences » ? T’es-tu d’instinct divisé contre toi au point de virer cruellement d’un sentiment à son contraire, de la félicité à l’écœurement, de la louange au blasphème, de la paix durement conquise à sa furieuse dénonciation, de la jouissance de l’être aimé à la terreur d’en devenir l’esclave, de l’insatiable appétit de Dieu, fondement de l’être, à l’exécration de l’idée de Dieu, limitation intolérable de l’être ? As-tu compris jusqu’à la lie qu’aucune pensée ne saurait te contenir, aucune raison te faire raisonnable, aucun système te rassasier d’explication, aucune science de l’homme te décourager d’être imprévisible, aucune volonté, fût-ce la tienne, te maîtriser autrement qu’en apparence, aucune morale te rendre meilleur sans te rendre plus mauvais du même coup, en attentant à l’insaisissable intégrité de ton être ?
Le goût de l'Un, « Ton silence mon néant »