PIERRE EMMANUEL

Le je universel chez Paul ÉluardGuy Lévis Mano, mai 1948

Ce qui distingue un poète entre tous, c'est l'unité d'un certain langage. Un langage emprunté, si prestigieux qu'il paraisse dans l'instant (d'un prsetige qui lui vient en partie de l'habileté de l'écrivain qui s'en sert), ne résiste pas aux vicissitudes de la durée, pour ne pas parler de celles de la mode. Car il n'est jamais qu'un véhicule qui ne fait pas corps avec la chose supportée : une manière de dire, laissant l'objet exprimé à l'extérieur de la parole qui l'exprime − alors que la parole vivante, au contraire, crée son objet en même temps qu'elle le dit.
      (...) Mais comment juger, presque à coup sûr, de l'unité d'une œuvre, à travers son évolution dans le temps ? (...) Quand le même ensemble d'images, la même constellation, se présentent dans l'œuvre entière d'un artiste, c'est de leur examen que doit partir toute réflexion valable sur la démarche du créateur.


     Petite plaquette de 43 pages, Le Je universel chez Paul Éluard est achevé d’imprimer en mai 1948 par Guy Lévis Mano. Le texte est repris dans Le monde est intérieur en 1967. Pierre Emmanuel date alors son texte de 1946. Il semble que ce soit en fait le développement d’une intervention prononcée le jeudi 5 juin 1947 dans le cadre d’un « Gala Paul Éluard » organisé par l’Union nationale des intellectuels. Des extraits en furent présentés par la radio-diffusion française le jour même.
     Pierre Emmanuel cherche à analyser ce qui distingue Éluard des autres poètes, le lieu de son unité, la clef qui lui est propre et éclaire toute son œuvre. Il la voit dans la première personne du singulier, « Le “Je”. Non point personnel, mais universel ».