PIERRE EMMANUEL

Regards sur des romanciers ou essayistes

     « J’ai lu tout Balzac, précisément, au moins une fois, et c’était pendant la guerre, en 1943 et 44. (…) Je dois dire que je n’ai pas pu m’arracher à l’œuvre une fois que je l’ai commencée. J’ai eu la chance de trouver à ce moment-là les 10 volumes de la Pléiade et je les ai lus d’un bout à l’autre, d’ailleurs sans aucun ordre, dans l’ordre où se présentaient les livres. Je ne sais pas du tout si Béguin m’en ferai compliment. Mais enfin ce qui est certain c’est que à ce moment-là j’ai eu l’impression de pénétrer dans un monde où toutes sortes d’analogies indéfinies se présentaient à moi. Les personnages se répondaient les uns les autres, et véritablement il fallait une série de clefs du cœur qu’il aurait fallu avoir le temps de collectionner, il aurait fallu mettre en parallèle les divers personnages, voir quels étaient leurs rapports, pour arriver à sentir quelle était l’épaisseur, la complexité psychologique et aussi la complexité d’imagination que ce monde-là nous offrait. Et cela, malheureusement, je n’ai pas eu le temps de le faire, et maintenant je sens très bien à sept ans de distance qu’a été pour moi cet évènement de la lecture de Balzac, je sens très bien que beaucoup de ces analogies que j’avais perçues, beaucoup de ces personnages qui m’étaient si vivants alors ont disparus de ma mémoire. »

À propos de Balzac, émission radiophonique diffusée le 2 décembre 1959


     « Voici sur ma table ces Dialogues des Carmélites, le dernier livre de Bernanos. (…) Je lis ce livre d’un trait ; et pour la première fois depuis longtemps, j’éprouve ce frisson de respect, ce besoin instinctif de louange qu’un chef-d’œuvre éveille parfois. Ce livre est beau, d’une beauté toute simple : c’est un drame devant lequel pâlit tout le théâtre claudélien. Pourquoi ? Parce que le drame de la peur – le drame de notre temps même – y est analysé, surmonté, avec une rigueur qui n’est plus la pseudo-rigueur du naturalisme moderne, mais l’exactitude éternelle de l’art. Il ne s’agit plus de décrire l’apparence, mais de traduire d’aussi près que possible les mouvements d’êtres réels, qui souffrent tous selon des voies personnelles, la fatalité d’une histoire dont ils doivent se libérer. Pour un Bernanos, l’histoire est une fausse prison : si atroce qu’elle soit, le salut de l’homme procède d’une liberté qu’elle ne peut incarcérer. Et Bernanos le dit – l’impose – dans une langue qui passe notre histoire à nous. La vérité de l’art n’est pas dans le langage banal : elle est dans le langage commun, que tous peuvent comprendre, parce que sa beauté les atteint à l’âme où le langage ordinaire n’atteint pas. »

« Bernanos : Dialogues des Carmélites », La Revue du Caire, n° 126 (janvier 1950), p. 247-251


     « L’histoire telle que nous la concevons, comme articulation des fins humaines, est proprement insensée pour cet homme qui n’y voit que le lieu de la mort de Dieu. Il n’écrit pas une phrase qui n’ait en vue de renverser la perspective historique, pour que la présence de Dieu la prenne pour ainsi dire à rebours. Ainsi l’histoire échappe-t-elle à l’homme dans la mesure même où il croit la posséder. Cette conception de l’histoire pourrait mener à un quiétisme où le tragique humain s’enroberait dans la fatalité. La prodigieuse vitalité de Léon Bloy – ce tempérament absolu – en fait exactement le contraire : une exaltation du tragique. Notre univers est celui de l’Incarnation : notre drame est indissolublement celui de Dieu, l’homme étant au même titre que ce dernier le protagoniste réel de l’histoire. Non pas l’homme spécifique, l’Humanité en marche ou quelque idole de soi que l’homme historique se forgerait : mais tout homme venant en ce monde. De là sans doute l’importance – trop peu soulignée à mon sens – de la catégorie religieuse de l’humour dans l’œuvre de Léon Bloy. L’humour dévoile l’absurdité de l’homme en même temps que son essentielle réalité »

Préface à Léon Bloy, Georges Cattaui, Éd. Universitaires, 1954
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     « Il faut entrer dans un grand silence pour pouvoir lire Henri Bosco. Ses romans ne courent pas la poste comme la plupart de ceux d’aujourd’hui, que leurs auteurs semblent avoir écrits pour en tirer plus tard un scénario ou un drame. Ce ne sont pas non plus des romans fleuves, bien qu’ils soient longs : le roman fleuve, comme son nom l’indique, entraîne l’esprit du lecteur dans une succession de purs événements, qui ne lui proposent nulle énigme – surtout pas la sienne – et se déroulent avec une logique dont les combinaisons tout extérieures flattent la paresse de l’attention. Un livre comme un Rameau de la Nuit est plutôt un roman paysage : étalé, mais secret ; lumineux, mais avec cette part d’ombre indéfiniment approfondie qui s’accroît au sein de la lumière. Un paysage de Provence pour tout dire : tout s’y donne à l’œil avec netteté, le voyageur admire la perspective, l’immuable architecture des plans ; c’est une figure de raison qu’il saisit, dont chaque ligne paraît idéale. Mais brusquement, sur une sablière rousse, éclate le feu du ciel : ou bien le soleil massif qui pétrifie le calme devient insupportable à la pensée, la paix est trop évidente pour l’être, et l’intuition de la fatalité serre le cœur. »

« L’art de Henri Bosco », La Nef, 71-72, décembre 1950-janvier 1951, p. 182-186.


     « Ce grand écrivain était d'abord un homme, l'un de ceux qui auront porté l'inquiétude de ce temps à son plus haut sommet de vertu. Il était sobre et retenu dans sa personne comme dans son style : mais d'autant plus passionné que sa conviction était plus austère et dépouillée. Un protestant : tourmenté mais limpide, et qui souffrait notre époque dans sa chair, en mesurait la misère et l'agonie, se sauvait du pessimisme absolu par un effet de grâce, et par la foi dans le témoignage chrétien, celui-ci fût-il rendu dans le désert. Son visage fortement buriné portait la marque d'une douleur sereine, l'inconsolable douleur d'être un homme qui n'attend rien de l'humain que de mal, et persévère dans l'humain par une volonté de l'arracher à l'absurde, volonté qui vient de Dieu seul. Dans ses yeux tristes et transparents souvent fixés sur les lointains se peignait une infinie tendresse, qui voilait son ironie la plus amère d'une étrange compassion.
     Roger Breuil n'aspirait à rien moins qu'à la gloire : il n'avait délibéré d'écrire assez tard que pour s'instruire du monde et de soi ; s'aidant de la rigueur du verbe pour exercer une pensée volontaire, naturellement théologienne, mais tout occupée du concret. »

« Mort d’un ami », Foi et vie, 46e année, n° 3, avril-mai 1948, p. 327-328.


     « Le monde de Dostoïevski se meut dans l’absurde, qui est l’atmosphère naturelle à l’homme : « tout est en question ». Il y a toujours une marge entre l’existence et le réel : et plus le détail réaliste est minutieux, plus est troublante l’impression d’irréalité de l’existence. Ainsi s’accuse, jusqu’au vertige, la duplicité de l’esprit humain, capable de renverser le sens des choses les plus banales, en dévoilant la soudaine profondeur d’intention qui se servait d’elles comme écran. « Lorsque Fédor Karamasoff termine le récit de ses débauches par celui du sacrilège commis sur une icône miraculeuse, il donne le mot de l’énigme ». Car ce « vaudeville du diable » dont parle Kiriloff, n’est autre que la nécessité : « le tout de la vie, apparemment chaotique, est toujours cohérent et sensé, au point de vue de l’absolu ».

« Dostoïevski et le problème du mal », Le Mot d’ordre, n° 661, 5 août 1942, p. 2


« Gœthe avait, tout autant que Gide, horreur de la nuit. Pas plus que Gide, il ne comprenait grand’chose à la poésie : témoin l’absence d’intérêt et même le mépris qu’il manifesta pour Kleist et Hölderlin. Mais Gœthe s’avança dans la nuit pour y chercher la lumière : il le fit, je veux bien, sans jamais s’abandonner tout à fait aux forces irrépressibles de l’inconscient ; il imagina la vie des rêves plus qu’il ne la vécut ; il eut l’intelligence des mythes, mais non leur instinct. Le désordre de son cosmos est timide, et consacre l’échec d’un art que l’entendement régit de trop près. Mais enfin Gœthe a vivifié l’un des grands symboles du monde moderne : celui de Faust. »

« Inactualité de Gide », Foi et Vie, juillet 1951, p. 338-341.


     « Un art sacré peut être cruellement véridique, explorer les bas-fonds : mais il ne montrera pas seulement ces derniers ; même les plus déshérités des humains ont des racines, qui souffrent. Un artiste fondé sur l’Amour n’abandonne jamais sa foi dans la grandeur ultime et intime de la nature humaine, fût-elle écrasée ou pervertie. Cet écrasement et cette perversion ne sont encore pour lui que des preuves a contrario de la grandeur natale et finale. C’est ainsi que la cruauté prétendue de certains grands ouvrages de l’art est comme transfigurée par l’éclat d’une audace spirituelle qui, pour mieux éclairer l’ordure, y projette un rayon de l’infini : et l’ordure devient alors le mal, le péché, qui relève de l’Amour bien plus que de la justice.
     Il est des œuvres où la lutte est sévère et sans répit entre l’ordre du mal et celui de la grâce – et où l’auteur, consciemment ou non, prend parti. Toute œuvre forte trahit les péripéties parfois brutales de cette lutte. Dans le Bel Aujourd’hui,Julien Green le fait sentir, et aussi le lien mystérieux de création réciproque et continuée entre l’art et l’artiste : « Dans tout livre, dans toute peinture, dans toute musique, je ne puis m’empêcher de voir les deux royaumes, l’un envahissant l’autre, perpétuellement. Il faut que ce soit ainsi, il faut que la lumière se rue dans l’ombre et que l’ombre se jette sur la lumière pour l’éteindre, mais c’est en nous que cela se passe. Extérieurement rien ne bouge, rien n’est changé. On pourrait se méprendre. »

Le monde est intérieur, « L’aspiration à voir », p. 264


     « De tous les livres suscités par la guerre espagnole, [Le testament espagnol] (…) est l’un des plus sobres, des plus véridiques que l’on ait écrits. (…) [A]ucun arrangement, aucune orchestration des faits ; la vraie grandeur y gagne, et parfois (...) l’histoire. N’étant point partisan, l’auteur est plus seul dans sa destinée, plus dispersé devant sa mort. Le sens profond du drame ne lui est pas donné d’avance ; il ne joue pas, il est joué. On pourrait dire de lui, comme il le dit d’un jeune condamné : « C’était un civil ». Toute l’expérience de la guerre (...) il l’affronte avec des moyens d’homme, de civil. Non de héros. Avec aussi une pudeur extrême, et comme en s’excusant d’être mêlé à un aussi grand drame, et de parler tant de lui. Héroïque, il l’est d’ailleurs sans le savoir, parfois même avec étonnement, dans les situations que sa loyauté juge décisives. Mais en aucun cas il n’essaie de se raidir devant l’événement, ni de nous tromper sur la portée de son angoisse ; il est trop possédé par sa mort pour faire d’autres gestes que de défense, de fraternité, élémentaires – et par là de pure charité. (…) Aucun pathos dans ce tragique. L’éloquence y est tout intérieure, et d’une simplicité d’accent qui témoigne de sa sincérité. Et peut-être aucun livre inspiré par la guerre ne rend-il avec tant de piété le vrai visage du peuple espagnol. »

« Arthur Koestler : un testament espagnol », Esprit, n° 84, septembre 1939, p. 784-785.


« Il est assez fécond pour l’esprit d’opposer au livre de Jean Herbert le curieux livre de C. S. Lewis, The Screwtape Letters, qui nous arrive d’Angleterre. On ne saurait imaginer plus exacte antithèse de la spiritualité hindoue relative à l’Au-delà. Un jeune diable novice a été chargé de capter un client sérieux pour l’Enfer. Son oncle, un vieux diable perspicace et plein d’expérience, lui prodigue par lettres des conseils, l’empêche de crier trop tôt victoire, le stimule après ses échecs. Cela nous vaut un livre d’une richesse psychologique extrême, qui ne quitte jamais le concret, et saisit au vif, à travers l’humour démoniaque de Screwtape (l’auteur des lettres), le jeu complexe de la vanité, des mouvements d’humeur, du respect humain, de la confiance exagérée en soi-même, etc., dans leur rôle d’obstacles à la conversion. La catégorie du comique est le terrain privilégié de l’analyse : cependant qu’elle ramène l’homme à sa vraie mesure, en accusant l’ambiguïté de la nature humaine, elle maintient l’opacité nécessaire à l’exercice de la grâce – pour Screwtape, le scandale fondamental. »

« Deux conceptions du salut », Temps présent, nouvelle série, 9e année, n° 58, 5 octobre 1945, p. 5.



     « (…) Cela peut vous paraître étrange mais je n’ai jamais eu de rapport personnel avec Malraux. Je l’ai rencontré plusieurs fois mais je n’ai pas eu de rapport personnel. Je l’ai écouté parler. J’aime bien écouter parler les gens, mais ça ne me suffit pas. J’ai préféré le lire. Je l’ai lu depuis mon adolescence ou presque. Il y a des livres de lui que je trouve tout à fait bouleversants pour moi. Ce ne sont pas les plus connus d’ailleurs en général. Par exemple Les Noyés de l’Altenbourg, ou bien son Lazare. Je le trouve sans avoir besoin de l’entendre. Peut-être est-ce comme ça qu’on lit vraiment les œuvres des gens. »

Entretien inédit


     « Si le poète, dans les Récits de Biélkine par exemple, passe si aisément, sans que sa description perde son apparence objective, de l’univers extérieur à l’image psychique de ce même univers, c’est que celui-ci est saturé par celle-là et qu’il ne peut se déchiffrer qu’à travers elle. La réalité n’est pas physique – comme le naturalisme le croit – elle est psychique et donc susceptible d’une diversité d’interprétations qui se correspondent entre elles. Tout l’art de Pouchkine est de ne jamais quitter le ton de l’évidence externe, celle du vu et de l’entendu, et, en celle-ci, sans que le lecteur puisse la mettre en route, d’évoquer et de résoudre un réel tout autre et le même, onirique celui-là. »

Préface à Alexandre Pouchkine, La fille du capitaine, Nouvelles, trad. R. Labry, Prosper Mérimée, Elisabeth Sélikoff, M. Vitmay, éd. livre-club Diderot, éd. Montaigne, 1964.


     « [Oberman] est l’un des plus beaux livres de la langue française, et l’un des moins connus. [...] La seule littérature que nous imaginions valable est celle qui commente la condition humaine dans l’intervalle de temps jalonné par ces faits.
     Senancour se porte à l’excès contraire, parce que ce mouvement lui semble nécessaire pour rétablir l’équilibre humain. Si, dans l’immédiat, il a tort et n’est lu que des adeptes, il devient, vers 1820, l’un des maîtres de la génération romantique. Quant aux jeunes de 1830, ils feront d’Oberman leur bréviaire moral. L’athéisme mystique de Senancour qui le fait s’écrier étrangement : “Force vivante ! Dieu du monde ! j’admire ton œuvre, si l’homme doit rester ; et j’en suis atterré, s’il ne reste pas”, est à l’origine de cette religiosité de l’homme sans Dieu, de ce stoïcisme désabusé qui, sous toutes les apparences contraires, est la marque de l’esprit romantique. »

« L’Oberman de Senancour », La Revue du Caire, 125, décembre 1949, p. 93-97.


     « Hispanisant remarquable, il nous laisse des traductions dont un maître s’enorgueillirait, à bon droit. De Gongora à Machado, de sainte Thérèse à Lorca, nous lui devons, restitués dans leur teneur poétique, quelques-uns des plus beaux poèmes de cette Espagne dont il se sentait l’un des fils spirituels. Il aurait pu faire sien le drame d’un Unamuno, dont le Christ est si mêlé à la terre que la terre souffre étrangement les souffrances du Christ.
     Certaines de ces traductions sont si belles qu’elles s’égalent presque à l’original. Je pense en particulier au Chant Funèbre pour Ignazio Sanchez Meijas, ce poème de Lorca, qu’il traduisit pour Guy Lévis Mano, et dont la plénitude passe dans la version françaises, avec une sorte de magique simplicité. C’est que Rolland Simon aimait la poésie presque à l’égal de Dieu : la Face de l’Éternel – ce grand Nom dont il n’était jamais rassasié – était pour lui baignée de poèmes. Cette adoration du Verbe, il n’y faillit pas un instant. Même lorsque la recherche mystique eut dévoré sa vie et calciné jusqu’à sa raison d’être, il reprenait son Gongora – une traduction des Sonnets, qu’il avait depuis longtemps entreprise – et polissait, polissait, poussant toujours davantage l’identification avec l’original. »

« Un nom sur une liste », Les Lettres françaises, 4e année, n° 33, 9 décembre 1944, p. 8.


     « Cette énorme tête occupe tout l’écran : le front est une voûte profonde où l’histoire de tout un siècle, perspective obscure, se pressent. L’ambition d’un tel homme est d’être plus grand que le Tolstoï de Guerre et Paix, d’écrire avec son sang et ses larmes qui sont aussi les pleurs et le sang de son peuple, la chronique d’une Révolution absurde et fatale, “pleine de bruit et de fureur.” Quelle puissance en lui, quelle certitude ! Quel orgueil, diront certains, mais ce que l’on peut prendre pour de l’orgueil, ne serait-ce pas la certitude portée à l’absolu, indissociable de la foi, du sens de l’être ?
     […] Comme j’enviais Soljenitsyne, avant-hier, de montrer la même tranquille énergie à fendre du bois et à faire surgir ses pensées ! Il y avait là comme un symbole sur lequel pourraient méditer ceux dont la tâche est d’énoncer la Parole : l’intelligence doit s’aiguiser comme une hache, pour ouvrir les cerveaux à ce Verbe que tant de médiocre rhétorique et de pieux conformismes ont si indûment émoussé… »

« La hache de Soljenitsyne [11 décembre 1983] », France Catholique, n° 1931, 16 décembre 1983


     « Si, en dehors de l’artiste en lui, Léon Tolstoï peut encore intéresser notre époque, c’est à cause non pas de sa doctrine morale, mais de ce jusqu’au-boutisme singulier qui l’a poussé à devenir doctrinaire : ses idées ont moins d’importance que sa passion. L’artiste contemporain est ou fut souvent un homme des confins, cherchant le sens ou le non-sens ultime de l’aventure humaine – la sienne. Depuis cent ans, bien des existences « poétiques » ont donné l’exemple d’une brusque rupture intérieure, d’un passage définitif de la littérature à autre chose, à quelque expérience incommunicable en son fond, et qui, pour autant que nous en jugions du dehors, est une tentative de forcer les limites. Tolstoï a voulu, pour sa part, accomplir, en naturalisant le christianisme, l’œuvre morale « ébauchée » par le Christ. En d’autres termes, vider le christianisme de tout contenu religieux, de tout mystère, pour n’en laisser subsister qu’une « doctrine » que lui, Tolstoï, serait le premier à avoir élucidée. »

La vie terrestre


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