PIERRE EMMANUEL

Pierre Emmanuel - Les années cinquante

     « Quand je travaillais [à la radio], tout de suite après la guerre, en un temps de pénurie où l’imagination devait suppléer au manque de moyens, j’étais familier de tous les truquages donnant l’illusion de l’espace par les combinaisons les moins probables de sons. Bien des reportages fictifs dorment ainsi dans les archives, fabriqués en studio avec du bruit. Nous avions alors, en toute innocence, une mentalité d’apprentis sorciers. Nous tentions peut-être de "démythifier" pour nous-mêmes l’énorme puissance de contagion qu’avait fournie la radio aux grands paranoïaques de l’histoire. »

France catholique, 1788, 20 mars 1981


     « Je n’avais aucun désir de m’engager, semaine après semaine, dans ce qui pouvait devenir une répétition fastidieuse. Bien que je sois raisonnablement au courant de ce qui se passe, et que je pressente – ni plus ni moins que d’autres – certaines évolutions à venir, l’exposé des faits n’est pas mon rôle, et trente-cinq ans de journalisme professionnel – carte N° 2116 – m’ont amplement prouvé que cet exposé n’est qu’un leurre, même s’il s’agit d’un leurre de la raison. Il n’y a pas d’objectivité absolue, et, plus il est fait en sorte qu’elle paraisse telle, plus il convient de se défier des raisons de la faire paraître ainsi. Il existe en revanche une subjectivité véridique, toujours révélatrice et souvent profonde, celle de l’expérience lucidement assumée, du témoignage honnêtement reçu. Elle nous fait comprendre la réalité humaine cachée, voire occultée, sous le prétendu fait politique. Presque tout ce que nous savons d’authentique sur l’histoire de ce temps et sur la Passion qu’y subit toujours l’homme, c’est à des témoignages individuels que nous le devons : et qui sont souvent des descentes aux enfers, creusant l’époque à une tout autre profondeur que les débats des Conférences internationales. »

France catholique, n° 1871, 22 octobre 1982


     « À la logique des machines, je cherche à opposer celle des hommes. Je voudrais que la société ne fût qu’un immense jeu de rapports humains. Peu de choses me semblent plus précieuses que le dialogue authentique, la parole substantielle échangée entre deux ou plusieurs qui font effort pour se dire, s’entendre et s’accroître mutuellement. Depuis la fin de la guerre, j’ai été un homme des media : j’ai ma carte de journaliste depuis [1945]. J’ai eu la chance de parler tout jeune plusieurs langues, dont, couramment, l’anglais. Professionnellement, je me suis occupé pendant quinze ans des informations radiophoniques à destination de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada. J’ai fait dans ces trois pays de nombreux séjours, et, pendant plus de dix ans, j’ai enseigné, parfois tout un semestre, dans des universités américaines. Jusqu’en 1960, j’ai accompli à l’étranger un certain nombre de missions. »

 Il est grand temps, Emmanuel...


     1950 : divorce. « Rien n’est plus poignant qu’un divorce, même pour ceux qui assistent impuissants au progrès de sa fatalité. Certes, il y a des divorces pour convenances personnelles, à l’amiable, comme on dit. L’échec n’en est pas moins patent, d’un attrait réel ou illusoire, auquel a manqué la force génératrice d’une volonté. Mais combien de divorces sont des exemples déchirants de la lutte à mort que se livrent l’homme et la femme dans leurs replis les plus cachés ! » (France catholique, 1749, 20 juin 1980).

     Le 11 avril 1952, mariage avec Janine Loo, artiste peintre d’origine chinoise. « Mon second mariage interrompit heureusement [l]es états de rêve éveillé qui me portaient aux confins de l’interdit. Pendant quelques temps, je lui dus un tel équilibre, une satisfaction si quotidienne de vivre, que je cessai presque entièrement d’écrire. »

Il est grand temps…


     5 novembre 1953 : naissance de Nathalie. Nathalie fera des études d’infirmière et son père lui sera très reconnaissant de l’aide qu’elle lui apportera dans sa dernière maladie. « Ma fille, elle aussi, est infirmière, payée beaucoup moins que ma secrétaire qui ne sait pas son b-a ba ; c’est un métier qui exige une bonne dose de vocation, de sens de l’autre. »

     Dans le même texte, Pierre Emmanuel remercie son épouse : « Merci à ma femme, qui ne m’a pas quitté un instant depuis la première convulsion et qui m’a confié, quand je fus entré en convalescence, qu’elle avait adressé à Dieu – auquel, d’ordinaire, elle ne pense pas – la prière fervente que voici, qui ne surprendra pas certains d’entre vous, je l’espère : « Mon Dieu, s’il ne peut guérir qu’au prix de la perte de la parole, je vous en supplie, ôtez-lui la vie… »

France catholique, n° 1916, 2 septembre 1983

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