PIERRE EMMANUEL

Pierre Emmanuel par lui-même - La découverte de la poésie

     « Bachelier à seize ans, je ne savais rien en propre. J’avais pillé des bibliothèques entières, inutilement : sans goût, sans principe de choix, sans mémoire. Il me manquait une juste idée de la parole : mon professeur de mathématiques en hypotaupe [l’abbé Larue] me la fournit. » (Pierre Emmanuel, Poètes d’aujourd’hui)
     « Je l’allai trouver comme un oracle (…). je confessai ne rien savoir, et désirer je ne sais quoi, qui me fût une raison de vivre. Je voulais toucher la vérité, au bout d’une recherche méthodique (…).Comme hors de propos, l’abbé me dit brusquement : "Écoutez ceci." Prenant, sur le pupitre où il reposait, un exemplaire splendidement calligraphié de la Jeune Parque, enrichi d’aquarelles de Barta, il me lut la fameuse séquence qui figure la montée du printemps (…) ; je le quittai ayant découvert un autre langage, une autre idole de raison, la Beauté. »

Qui est cet homme ?


     « À dix-huit ans, je devins l’élève de Jean Wahl à la Faculté des Lettres. J’y tombais amoureux d’une étudiante – ou d’une Image, comme on voudra : flamme malheureuse, celle des feux d’enfer où mon Orphée descendrait plus tard en quête d’une Eurydice perdue. J’écrivis à cette époque des poèmes passionnément imités d’Éluard. Monchanin, Larue (plus critique) et un petit groupe de camarades me couronnaient de lauriers. »

Pierre Emmanuel, Seghers, coll. Poètes d’aujourd’hui


     « J’achetai Sueur de sang, pour la seule raison que ce livre était d’apparence belle ». Mais « dès mes premières lectures de ce livre, j’eus l’impression d’être plongé dans la matière même : une matière où l’esprit, la chair, les éléments ne font qu’un ».
     Jouve « définissait la poésie comme une opération fondamentale de l’esprit, comme une nécessité de la vie spirituelle, sans laquelle nous échapperaient certains aspects essentiels de la connaissance. » « Et comme Jouve, très consciemment, insérait sa poésie dans une grande tradition chrétienne, celle dont l’axe est la Croix du Sauveur, j’y reconnaissais, transposée, l’une de mes méditations fondamentales : car, de toujours, le mystère de la Rédemption m’avait retenu. »
     « Je ne puis imaginer ce que mon œuvre eût été sans Jouve ; aurais-je même, sans lui, choisi de m’exprimer en poésie ? »

Qui est cet homme ?



     « Pierre Jean Jouve fut sévère pour mes premiers essais, disant qu’il n’y voyait que « matière », et nulle promesse de vraie poésie. Je cessai d’écrire pendant quelques mois. Brusquement, au début de 1938, j’écrivis sans savoir d’où il me venait mon premier poème réel : Christ au Tombeau. Jouve, l’ayant lu, m’adressa une lettre que je reçus comme un sacrement, tant était religieuse en ce temps-là ma conception de la poésie et du poète. »

Pierre Emmanuel, Seghers, coll. Poètes d’aujourd’hui


     « Quand j’écrivis Christ au Tombeau, j’étais bien loin de me douter que cette première image portait en soi toutes les autres à venir, et non point elles seulement, mais le futur de mon expérience, aussi bien que son passé ; plus encore, analogiquement, l’expérience de tout homme, le Corps spirituel de l’espèce. Les poèmes que j’avais écrits jusqu’alors suivaient l’inspiration du moment : entre eux, nul lien, que de forme extérieure ; nulle nécessité. Or voici que j’étais au seuil d’un univers nécessaire. »

Qui est cet homme ?


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