PIERRE EMMANUEL

Visiting Professor

     En 1948 Pierre Emmanuel est invité à faire une tournée des universités américaines. Il est alors « engagé comme Visiting Professor pour un an (année académique 1949-1950) par une université américaine et comme Visiting Professor pour le cours d’été par une autre » (texte inédit). Mais en plein maccarthysme, le soupçon pèse sur celui qui fréquenta le Comité National des Écrivains, Éluard ou Aragon. Le consulat ne lui accorde pas son visa. L’affaire ne passe pas inaperçue et l’année suivante Harvard invite Pierre Emmanuel à prendre part à un séminaire sur la poésie en 1950, s’occupant elle-même de son visa. Durant trois ans il est invité aux cours d’été de cette université, jusqu’en 1953.

     Pierre Emmanuel passe ensuite régulièrement trois ou six mois aux États-Unis pour donner des cours, souvent d’écriture poétique ; outre Harvard, il est en particulier Visitor Professor à l’université de Brandeis, où se trouve aussi Claude Vigée, à l’université Johns Hopkins, à Baltimore, invité par Georges Poulet (il fait alors cinq conférences sur son expérience de poète), à Buffalo, à Queen’s au Canada etc.



     « Je ne suis pas entièrement un homme de bonne volonté, voué à la paix et à la création d’un ordre stable. Certes, je suis cet homme-là, mais je sens aussi une agitation constante en moi, un chaos, une menace de rupture : cela aussi est force de vie. Je ne suis pas complètement opposé à ces énergies destructrices qui opèrent en nous, et contre quoi nous devons pourtant nous liguer. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime revenir souvent aux États-Unis et en voir les tensions grandir : j’aime m’instruire aux formes qu’elles prennent, si absurdes, si choquantes qu’elles soient pour la raison. Là-bas tous les conflits que porte en germe notre partie sur-développée du monde atteignent à leur point critique et se révèlent dans leur vraie profondeur. Je crois que l’ordre et la loi seront de moins en moins capables de contenir les énergies réprimées sous l’apparence sociale, dans la collectivité et même en chacun de nous. Ainsi l’Amérique m’apparaît-elle prophétique des désordres qui attendent l’âme humaine dans les décennies à venir.
     J’ai la sensation viscérale que ce grand pays devra payer le prix de la prophétie. Les Américains vont découvrir, ou redécouvrir, et aider le reste du monde à redécouvrir, ce que nous déployons tant d’ingéniosité à nous cacher : que la souffrance a un sens à l’intérieur du changement global, et qu’elle en est même une force active. C’est justement la tâche des artistes d’être les contestateurs de l’euphorie technique et les annonciateurs de cette douleur en travail. »
                                    Choses dites, « L'ordre et le chaos »