PIERRE EMMANUEL

Dramaturgies - suite

     Dans les années qui séparent L’honneur de Dieu de Visage nuage, Pierre Emmanuel écrit une pièce qui restera dans ses cartons : Les Psaumes de la nuit. Le mythe du roi pêcheur qu’elle reprend et interprète permet au dramaturge de montrer la victoire de la croix sur les tyrans de ce monde, au moment même où ces derniers pensent avoir vaincu les pauvres.
      La pièce est précédée d’une note au lecteur et au spectateur dans laquelle Pierre Emmanuel justifie le lyrisme de certaines scènes, la teneur de certains dialogues, expliquant qu’il s’agit là d’un « théâtre verbal », « un théâtre d’éclatement, invraisemblable certes, mais prophétique », d’une « fresque animée un peu à la manière des dialogues désintéressés et souvent gratuits d’un Socrate qui interpelle les passants, mieux encore, à la manière (…) d’un Saint Paul prêchant dans Athènes ». La pièce est en outre suivie d’un épilogue dans lequel le dramaturge prend congé de ses personnages et s’adresse directement aux « Hommes » des temps modernes, supprimant ainsi la distance entre l’écrivain et le lecteur. La modernité de l’écriture, l’audace de la mise en scène qu’elle suppose marquent cette pièce caractérisée aussi par une plus grande place accordée aux dialogues et la disparition du vers encore utilisé dans L’honneur de Dieu.

 

     Le 3 juillet 1950 est enregistré à la radio un texte dialogué à la facture théâtrale : D’Aubigné le protestant. Il est diffusé le 9 juillet 1950 à 21 h 35 ; durée : 56 minutes.
      Deux personnages principaux : « Elle », protestante, et « Lui », catholique, s’interrogent sur la possibilité d’une poésie protestante. L’exemple de d’Aubigné est alors développé. Car, affirme l’un des protagonistes, il « exprime sa foi dans le seul langage qu’il en juge digne : la poésie. Qu’il prie, qu’il se révolte, qu’il définisse un point de doctrine, c’est en vers qu’il précise le mieux sa pensée… ». L’entretien, coupé de longs extraits de d’Aubigné ou d’interventions extérieures, comporte quatre séquences rappelant la vie et la spiritualité d’Agrippa d’Aubigné, et l’expression de sa foi dans son œuvre, en particulier dans Les Tragiques.

 

     Le 28 décembre 1955 Pierre Emmanuel envoie L’entremetteur par plaisir à un ami yougoslave, José Javorsek, pour qu’il la joue en Yougoslavie : « Quoique tout le monde ici trouve que mon « ours » est bien léché, personne jusqu’à présent ne veut l’exhiber, vu l’état de la morale parisienne. Il paraît que l’hypocrisie régnante dans notre pays ne permet pas de dire les choses aussi crûment – et Barrault, qui s’intéressait à l’entreprise, est parti pour 18 mois… ». Malheureusement, des ennuis absolument indépendants de sa volonté empêcheront José Javorsek de mener à bien son projet.
     Le drame est contemporain de Visage nuage ; les préoccupations littéraires de Pierre Emmanuel ne sont plus la participation de chacun à l’histoire politique – au sens fort du terme –, mais à son histoire propre. Il rejoint par son sujet Car enfin, je vous aime, paru en 1949 : dans les deux cas le héros est une sorte de don Juan, incapable d’aimer réellement. Les protagonistes, Alvare et Mascagne, en sont les deux faces. Pris au piège de leur séduction, ils sont rejoints par la miséricorde divine en la personne de la fille d’Alvare, Songebelle, qui convertit Mascagne et empêche Alvare de se perdre définitivement.
     Si Les Psaumes de la nuit sont lyriques, L’entremetteur par plaisir est rapide, sarcastique parfois, ironique souvent, d’une écriture vive et rythmée de rebonds.