PIERRE EMMANUEL

     « Les éditions de Poésie 41 viennent de publier Tombeau d’Orphée, et la collection Fontaine annonce Jour de colère. Un grand poète parle. Une voix puissante nous élève au-dessus de nous-mêmes. Un merveilleux accord se fait entre une époque écartelée et une poésie, où le verbe est feu, flammes et mains humaines jetées au ciel. Dans la T.F.L. (Tunisie française littéraire), Jean Amrouche salue en Pierre Emmanuel, "le plus grand poète actuel aux côtés de Patrice de la Tour du Pin". Notre ami a raison. Il faut voir dans l’auteur de Tombeau d’Orphée un poète exceptionnel, dont la création se place, d’emblée, au niveau des plus hautes œuvres poétiques. »

Poésie 41, n° 4, mai-juin 1941


     « Comme Hugo, ‑ chez qui, d'ailleurs, la rhétorique creuse triomphe bien plus fréquemment, - Emmanuel ne recourt pas en vain à ces grandes masses de paroles. Elles correspondent au sens le plus profond d'une poésie qui tend, ‑ non pas à la concision mallarméenne du vers unique, explication orphique de l'univers, ‑ mais à une sorte d'immense périple, de navigation au long cours, seule apte à donner la sensation du fleuve sanguin qui tourne dans notre chair, et du fleuve des siècles qui nous charrie dans ses flots pour donner à la Terre son sens de vie indéfiniment précipitée aux pieds de Dieu. De là cette forme, où tout est chute de puissantes masses verbales, sans loi analysable autre que celle du mouvement, d'une course souvent haletante, souvent syncopée, puis apaisée dans une lente et calme progression. Et par instants, tandis que les lourdes images de la chair et des ombres font place aux couleurs célestes et à la merveilleuse transparence de paysages rêvés, le mouvement s'inverse, pour amorcer une ascension souveraine. »

                                                   Postface à Le Poëte et son Christ, 1942

     « Un premier livre comme il n’en paraît pas beaucoup en un siècle. D’autres en parleront ailleurs, et ici-même. Il suffit de dire aujourd’hui, à peine les feuillets coupés, qu’un jeune maître est parmi nous (si magistral dès le principe que nous en oublions sa jeunesse). »

Armand Guibert, Fontaine, n° 14, juin 1941

 

     « L’art de Pierre Emmanuel s’impose à l’attention de quiconque attend d’une œuvre en vers autre chose qu’un jeu verbal ou l’assertion plus ou moins sincère, plus ou moins pathétique d’une expérience personnelle. »

Léon-Gabriel Gros, Cahiers du Sud, n°237, août 1941

 

     « Ce livre est une véritable révélation. Pierre Emmanuel est un grand poète, on n'en peut plus douter. Il chasse le chaos devant lui à grands coups d'images. Cela est puissant, hagard, imparfait, sauvage et mystérieux. On n'y voit que du feu diront certains, mais quel feu ! »

Alain Borne, Confluences, n° 3, septembre 1941

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     La poésie d'Emmanuel se situe assez exactement dans le sillon spirituel ouvert par Pierre Jean Jouve, éminemment humaine, à la mesure de l'homme, elle repose sur les trois notions correspondantes énoncées par le poète de Sueur de Sang : Inconscient, Spiritualité et Catastrophe. Elle veut reproduire le dynamisme latent dans l'âme des choses, le rythme essentiel de la vie, faire valoir l'harmonie chrétienne de l'esprit et du corps. "Être poète, c'est d'abord être homme. C'est ainsi dire que la poésie d'aujourd'hui doit être progrès de l'homme dans son futur, donc prophétie", a écrit Pierre Emmanuel dans le numéro de Fontaine consacré à la poésie comme exercice spirituel. Une telle poésie, dont le ton est prophétique et l'atmosphère apocalyptique, relève des données immédiates de l'intuition, que le poète définit comme "le mouvement de l'esprit se dépassant lui-même". Les poèmes d'Emmanuel sont tout orientés vers l'avenir de l'homme, ils sont animés sous le coup des événements par une aspiration métaphysique à la liberté. Le souffle philosophique du vers se dégage de l'expérience humaine du péché et de la catastrophe.

                             Poésie et tendances, La Baconnière, Neuchâtel, 1945

     « Aujourd’hui un La Tour du Pin, un Emmanuel, à la différence de la génération qui les précéda (celle d’Aragon, de Michaux, de Supervielle) semblent ne presque rien devoir aux recherches poétiques les plus essentielles du début de ce siècle. Ne parlons même pas de surréalisme. Je cherche en vain ce qui, dans le Tombeau d’Orphée, Combats avec tes défenseurs, ou La Liberté guide nos pas, relève de Baudelaire, de Rimbaud. Pierre Emmanuel a trouvé, dès le début, son langage à soi. "Orphée n’a que son ombre pour témoin". S’il y a une filiation à découvrir, elle est plutôt du côté des romantiques allemands, créateurs de mythes, au premier rang desquels est Hölderlin. La même fusion des mythes grecs et de la personne du Christ me frappe chez l’un et chez l’autre, chez l’auteur miraculeux d’Empédocle et des Poèmes de la folie et chez l’auteur d’Orphée. La poésie est la fonction qui permet à l’homme, en de certaines périodes tournantes et graves, de toucher du doigt les dieux. Et je me souviens d’avoir lu sur ce sujet, en 1943, un profond article de Pierre Emmanuel, un acte de terreur et de foi. »

                                                                             Carrefour, 31 août 1945

     À travers toutes ses manières (et tous ses maniérismes), dans le déploiement de draperies somptueuses et tachées de sang qui flottent au premier plan d'un paysage de désert biblique et calciné, dans les grandes orgues grondantes de Sodome et les versiculets concentrés des Cantos, Pierre Emmanuel ne cherche qu'à savoir (et faire savoir) ce qu'est l'homme (…).

     L'appareil poétique de Pierre Emmanuel, ses ambitions (les plus hautes peut-être de celles qu'aient conçues les poètes de son âge) cette façon qu’il a de mettre les mains constamment en porte-voix, de braver, d’apprivoiser le mauvais goût, ses tics de langage et sa rhétorique, tout cela n'est soutenu, comme une vague gonflée par un vent monotone, que par une angoisse toujours renaissant, et qui est celle de l'homme découvrant dans son miroir l'inhumanité qui est en lui. Un double pari fait Pierre Emmanuel franchir l'abîme qu'il voit se creuser en lui – en nous – c'est le recours à Dieu, et à cet achèvement de l'œuvre de Dieu qui est pour Emmanuel la justification de son être. »

Europe, n° 21, septembre 1947

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     « Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous apprenons que M. Pierre Emmanuel est un grand poète. Il ne nous avait jamais donné, cependant, une œuvre aussi dense et aussi importante que cette épopée, Babel. Car il s’agit vraiment d’une épopée, qui n’est rien de moins que celle du genre humain. Non pas qu’elle comporte, comme La Légende des siècles, une série de tableaux mystiques des divers âges de l’humanité. En apparence, elle est située en deçà du temps de l’espace. Babel est quelque part et elle est partout où les hommes s’efforcent, par leur propre industrie, de jeter un pont entre la terre et le ciel, d’édifier ce que, dans L’homme révolté, Albert Camus appelle "le royaume des fins".

     (…) L’ambition de M. Pierre Emmanuel est grande ; elle ne s’est pas trouvée supérieure à son talent, et c’est de quoi il doit être particulièrement félicité. »

Jacques Madaule, Témoignage chrétien, n° 399, 29 février 1952


     « Où trouverait-on aujourd'hui le ton épique ? Chez Saint-John Perse, chez Jean Grosjean avec le Livre du Juste.

     Surtout, peut-être, chez Pierre Emmanuel.

     N'a-t-il pas été pendant la dernière guerre, et ce n'est pas un hasard, le réinventeur du poème-fleuve, où le lyrisme, en brisant les limites du poème bref, atteint aussi un plus vaste objet, se déploie jusqu'aux dimensions de l'histoire et du cosmos, se meut sur un immense orbite qui englobe l'actuel et l'éternel, l'humain et le divin ?

     Avec Babel, Emmanuel nous a donné une nouvelle œuvre remarquable.

     Cette Babel dont il parle est le monde moderne, mais porté à une hauteur hiératique. À la base, la boue, sur les degrés du monstrueux édifice, la sueur amère et le sang, en haut, le délire. Tout le poids de la réalité, tous les appels de désespoir de cette "Métropolis" sont sans cesse présents ; rien ne manque de ce qui peut conduire aux doctrines de nihilisme et de capitulation, mais la vue des villes n'aveugle pas le poète. Autour d'elles, il sait magnifiquement évoquer les étendues de la terre, la rumeur des fontaines, les souffles de vent, la rosée des étoiles, le cœur de l'homme et le secret de la grande présence-absence divine.

     Pour hautement lyrique que soit cette poésie, on voit comment elle dépasse la pure effusion du cœur et communique avec tout le drame du monde. »

                                                     Michel Carrouges, Preuves, n° 25, 1953

     « Pierre Emmanuel est le poète des idées, des mythes, le messager d’une culture qui doit beaucoup aux grands mystiques et à laquelle il croit comme à un lien puissant entre les hommes ; poète des idées-mères, engagé dans la grande tradition humaniste, forgeron d’un langage passionné qui sait donner voix aux tourments de la métaphysique, Pierre Emmanuel est ce diseur à la fois moderne et surgi du fond des âges dont l’accent ne surprend point, s’il envoûte et bouleverse. C’est également un poète engagé, je veux dire que sa poésie, qui veut porter témoignage sur l’homme, s’adresse à l’homme, loin qu’elle soit, comme chez Bonnefoy, d’abord ce langage qui rend compte d’une expérience et que hante la forte nostalgie de l’unité de la nature et de l’être. Il y a, chez Pierre Emmanuel, un poète social et national qu’on ne retrouve pas chez l’auteur de Douve. »

                                                                       Preuves 9, n° 104, oct. 1959
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