PIERRE EMMANUEL

À Dieulefit, nul n'est étranger

     Dieulefit, village protestant au long passé de résistance, est une école de vie pour Pierre Emmanuel.

     Là vivent ou passent durant la guerre de nombreux intellectuels, en particulier Emmanuel Mounier que Pierre Emmanuel invite à sa sortie de prison en 1942, des artistes en tout genre, au point que la cité est considérée comme l’un des trois centres intellectuels de la France pendant ces années.
     Là surtout se cachent nombre de réfugiés, Allemands, juifs etc. à qui nul ne demande leur origine, à qui Jeanne Barnier, la secrétaire de mairie, fournit de faux papiers marqués de vrais cachets, sous l’impulsion de Marguerite Soubeyran, directrice de l'école de Beauvallon.

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     « À Dieulefit, nul n’est étranger : celui qui va débarquer tout à l’heure, rompu par un affreux trajet d’autobus, affamé, poursuivi peut-être, et qui vit dans la terreur des regards braqués sur lui, qu’il se rassure, la paix enfin va l’accueillir, il se trouvera parmi les siens, chez lui, car il est le prochain pour qui toujours la table est mise.
     (…) Dieulefit, pendant ces quatre années, illustra consciemment la leçon de l’Épître aux Romains : Il n’y a ni Juifs, ni Grecs, il n’y a que des hommes sous le regard de Dieu ; une seule définition de l’homme, et qu’il faut défendre partout, en tout homme où elle est menacée. Je ne sais si mon voisin, l’électricien communiste, ou Mlle Marie, la vieille couturière protestante qui venait ravauder notre linge, auraient pu formuler cette définition : mais le pourrais-je moi-même ? Quand Mme Peyrol, qui ne décolérait pas contre son poste, qu’elle débranchait parfois, de rage, pour le rebrancher aussitôt, s’écriait avec son accent du midi : « Tous les hommes sont des hommes, quand même », cette simple équation se suffisait : A est A, et ne peut être, ne sera jamais non-A. »

Qui est cet homme ? , chap. IX
 

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