PIERRE EMMANUEL

TuÉditions du Seuil, 1978

Tu es pour l’âme une vision de jaspe vert
Qu’il arrive qu’au fond de soi quand le soir tombe
Elle pressente comme à l’horizon le plus lointain
L’instant de voir le sourire de l’immuable
Si suave qu’elle se meurt de son désir
D’anéantissement qui serait sa nuit même
Syllabe ronde de l’univers se dissolvant
À perdre souffle dans le vide après le chant
À perdre souffle sur l’ultime infatigable
Note muette de l’abîme prolongeant
L’âme à travers l’ombre sans bords où rien n’existe
Qu’un sourire l’a-t-elle entrevu ou rêvé
Qui l’abolit la fait planer dans l’immuable
Vision de son désir de jaspe vert

                        Tu, « Jaspe vert »


     Tu paraît en 1978, aux éditions du Seuil.
     « En choisissant pour titre de son recueil ce pronom personnel de la deuxième personne, Pierre Emmanuel se situe d’emblée dans l’ordre du dialogue, de la communication, de l’amour, là même où il cherche, et trouve, son origine. La double dédicace et les deux citations en exergue le disent bien : c’est vers une naissance que Pierre Emmanuel nous emmène, "de commencement en commencement", jusqu’à cette porte "nommée à tort d’un autre nom", qui ouvre sur la Vie.
     Passée la salutation d’ouverture — le lecteur est bien le premier destinataire du poème qui va se donner là, puisque c’est lui qui va lui donner souffle —, sept portes successives ["Vent" ; "Eaux" ; "Moïse" ; "Élie" ; "Toi" ; "Moi-je" ; "La Porte") jalonnent l’itinéraire [sur le chemin vers la deuxième naissance à laquelle aspire le poète, et qui peut se formuler ainsi :] comment naître à ce Je, comment naître de la nuit dont on s’arrache pour une terre promise ? [...]
     Au centre [de la cinquième section, intitulée « Toi »], le long poème de « La rencontre » [...] est comme innervé ou irrigué par une confidence, le témoignage d’une expérience mystique survenue en pleine guerre. »

Isabelle Renaud-Chamska, notice de Tu, Œuvres poétiques complètes, t. 2, L’Âge d’Homme, 2003, p. 1272-1278.